Le dent-de-lion de Sam

Sam arriva à la hauteur de la plante avec une certaine appréhension. C’était la première fois qu’un pissenlit envahissait ainsi son parterre.

« C’est fini, je n’utiliserai plus de crottin de moufette végétarienne pour engraisser ma p’louse! maugréa-t-il entre ses dentiers. En plus, c’est plein l’endroit où mon pauvre Jap-jappe s’est fait arrosé, dieu ait son âme, pauv’ p’tit Pékinois! »

Il essuya une larme qui coulait doucement sur sa joue et cracha dans ses deux mains avant de solidement empoigner la hache bien affilée. Il regarda le gros bouton orangé qui se dandinait à sept mètres au-dessus de sa tête et fit de nouveau la grimace.

dent-de-lionAmanda le regardait à travers la vitre du patio et lui faisait signe d’y aller, d’en finir avec ce dent-de-lion morbide qui brisait l’harmonie de la cour. Sam haussa ses frêles épaules et prit position. Mais, au moment où il prenait son élan pour lui asséner le coup de grâce dans son cou de graisse laiteuse, il arrêta son geste en songeant au lait crémeux qu’il détestait tant lorsqu’il arrachait les toujours trop nombreuses mauvaises herbes qui osaient briser la quiétude verdâtre de son terrain. Il se rappelait l’odeur âcre et la texture imprécise de ce sang blanc qui le répugnait tant.

Alors, il déposa la hache et décida qu’il pourrait bien attendre quelques jours, le temps que le bouton se transforme en mousse fragile. Il aimait ces transformations magnifiques que les plantes effectuaient, se fermant la nuit, étalant des pétales multicolores, faisant perler l’eau de la rosée, défiant la gravité par tant de grâce et de beauté architecturale. Le pissenlit, malgré sa faible popularité dans le royaume floral, n’échappait pas à cette magie.

Il s’assit et l’observa longuement alors que derrière lui gesticulait Amanda pour qu’il achève sa besogne. Il n’en avait pourtant plus envie. Comme il était bien avec cette monstrueuse difformité de la nature.

Vers midi, il rentra et fit un sourire à son épouse qui n’en finissait plus de déblatérer des sottises sur la nécessité d’éliminer ce monstre de leur jardin, de ce que dirait les voisins, leurs amis en voyant la mauvaise herbe défigurer leur vie banlieusarde, de tuer au plus sacrant les envahisseurs et… schlack!

D’un coup sec et précis, Sam trancha la tête d’Amanda avec sa belle hache toute neuve, bien affilée. Le sang poisseux sentait meilleur, sa chaleur le réconfortait. Et le silence revint enfin dans la petite maison voisine de l’horloger.

NdA : Toutes les Chroniques Glauques d’Érablerouge se retrouvent ici.

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