J’ai fait la file pendant quatre heures. On était peut-être une centaine. J’étais le dernier de la file. Après moi, plus personne ne s’est présenté. Ils sont tous entrés les uns après les autres et je suis resté bon dernier à attendre mon tour.
Puis, vers 18 heures, un grand type au teint verdâtre est sorti de la salle d’audition. Il m’a regardé et m’a dit:
“Kess voulez?”
“Je viens pour l’audition…” dis-je en pointant la porte close.
“Y’a pu d’audition. Retournez chez vous.”
J’étais enragé. Et le type s’en allait sans même me laisser la chance de répliquer, de gueuler ou de brailler.
Il a fermé la lumière comme si je n’existais pas. Le salaud.
Je me suis approché de la porte fermée et j’ai tourné la poignée. Verrouillée, évidemment. J’ai attendu un peu et j’ai sorti l’épingle à cheveux tordue que je garde en permanence dans ma poche revolver. J’ai joué avec la serrure jusqu’à ce qu’elle cède. Puis j’ai ouvert.
Il y avait là 99 cadavres empilés en vrac, ensanglantés.
Un autre grand type était assis à une table, révisant ses notes. J’ai toussoté.
“C’est fermé. On a tout notre monde,” dit-il en pointant la pile de morts.
“Mais, est-ce ici pour l’audition du film d’amour?” demandais-je incrédule.
Le gars leva la tête et dessous son voile noir, je vis un horrible visage squelettique: “Ici, c’est le film d’horreur. Le film d’amour, c’est le 206, à côté.”
Je m’excusai et reculai doucement en évitant de regarder ni le monstre ni le tas de cadavres. La puanteur me donnait la nausée. Quel imbécile je faisais.
Comme j’atteignais la porte de sortie, le croque-mort me dit:
“On aurait un rôle, peut-être, pour vous…”
“Ah oui? Euh, lequel?” demandais-je en tremblant de tout mon corps.
“Celui du seul survivant…”
J’étais rassuré. Je m’approchai, confiant d’être à la hauteur de ce rôle.
“…Mais qui meurt quand même à la fin!”
Je vis une lame puis plus rien. Ou plutôt si, un peu de lumière et puis plus rien du tout.