Satan est entré dans la chambre de Lucienne Marleau le 17 juillet 2006. C’était une nuit chaude et personne ne se doutait de ce que venait de vivre la pauvre femme. Elle venait d’apprendre que son mari, Bernard, la trompait depuis cinq ans avec sa meilleure amie, et tout le tralala cul-cul qu’on devine et qu’il n’est pas nécessaire de décrire ici.
Or, Lucienne s’était promise de se venger, et de Bernard, et de Fabienne Pouliot, son ex-meilleure amie. Elle a songé à la sorcellerie comme tout premier et dernier recours. La magie blanche ou noire ferait l’affaire, peu lui importait.
Elle alla à la bibliothèque et trouva des livres aux titres farfelus comme “Magie Blanche: Soyez la reine de sorcière et obtenez ce que vous voulez” ou “Potions et potirons pour la sorcière moderne” (un livre écorné publié en 1969). Elle en prit quelques uns et s’en retourna chez elle, l’esprit plus léger malgré la lourdeur du temps.
Elle alluma quelques chandelles qu’elle disposa en étoile et traça des symboles bizarres sur le plancher avec de la craie. Elle lut à haute voix des incantations et des prières inversés, se piqua le doigt, brûla un caleçon du vil trompeur et déchira une photo imbibée de larmes sur laquelle Fabienne et elle entouraient son Bernard de merde.
Vers les 23 heures, comme rien ne s’était produit (ni éclair, ni coup de téléphone annonçant la mort tragique de son ex), elle se retrouva seule entre ses draps qu’elle trouvait étrangement glacés.
Quelques minutes après minuit, elle entendit le plancher qui craquait: quelqu’un était là, tout près. Si c’était Bernard, elle songeait à l’assassiner immédiatement ou lui sauter au cou pour lui demander de lui faire toutes les choses qu’il faisait avec Fabienne.
Une odeur de goudron brûlé, de plastique calciné, de bois carbonisé, bref, quelque chose de noir et acide envahit la pièce. Une ombre se profila au-dessus d’elle.
“Qui est là?” osa-t-elle demander en relevant la couverture sous son nez.
“Satan, madame, pour mieux vous servir.”
Lucienne n’en croyait pas ses oreilles. Elle alluma la lampe de chevet et n’en crut pas non plus ses yeux. Un grand type, nu comme un ver, beau comme seul un démon peut l’être, la peau tannée, les yeux d’un jaune perçant, la langue fourchue, se pencha sur elle, l’haleine brûlante.
“Par la barbe de belzébut, v’z’êtes belle en siouplaît!” s’exclama le diable d’homme.
“C’est pas l’opinion de mon Bernard…”
“Ça vous dérangerait si je m’étendais un peu? Je suis un brin fatigué d’être méchant.”
Lucienne sourit et ouvrit les couvertures. L’être se blottit contre elle et lui fit des choses pas si horribles ni démoniaques pendant près d’une heure.
Essoufflés tous les deux, ils restèrent enlacés un moment et Satan dit, d’une voix tremblotante:
“Lucienne, je pense que ça me tenterait de prendre ma retraite. Ça te dérangerait que je reste?”
Elle acquiesça, les yeux remplies de larmes. La scène était des plus quétaines mais on n’arrête pas le progrès de l’humanité parce que le diable est idiot.
Le lendemain, personne ne remarqua (du moins tout de suite) que les guerres prenaient des allures de trêves, que les haines qu’on entretenait depuis de lunes apparurent comme des broutilles. On s’aimait et on se foutait de la haine et de la violence qui, du reste, s’étiolait.
(Bon, ici, je pourrais faire en sorte de Lucienne se réveille, qu’elle ait imaginé tout cela dans un rêve, mais je me permets, comme ça, d’écrire des histoires cul-culs pour faire sortir le méchant. Et puis, quoi, vous ne croyez pas que le diable, s’il existait, pourrait tomber en amour avec Lucienne? Et vous ne croyez pas que le monde pourrait être mieux si toutes les femmes et les hommes de cette Terre ne faisaient que s’aimer au lieu de se battre? Ok, I rest my case. For now!)