« Il me vient des images. Des images terribles. Des corps d’enfants sans tête. Des chiens qui mangent de cadavres. Il me vient aussi des sons, des bruits éparpillés dans le calme vide de la nuit. Le sifflement des bombes qui tombent. Celui de l’étrange silence qui précède l’éclat, le tonnerre de la poudre qui s’enflamme. La langueur des pierres qui retombent en poussière. Les supplications des mourants. Je n’en peux plus d’entendre les oiseaux chanter, le vent s’infiltrer dans les feuilles vertes. Tu entends, tu entends, mon fils, la douceur de l’eau qui coule dans ce bassin? C’est une torture après avoir tant vu et tant entendu. »
« Calmez-vous, père. Votre cœur… »
« Ne t’inquiète pas pour mon cœur. Mon âme a déjà cessé de l’alimenter. Il bat par habitude. Il cessera de se battre quand il réalisera que le reste du corps s’est recroquevillé dans l’attente de l’au-delà. Que ce soit l’enfer ou le paradis, je m’en balance. Il sera moins douloureux que de vivre cette folie des hommes. »
« Il ne faut pas détester ces hommes, père. »
« Qui t’as dit que je les déteste. Je déteste les hommes avec un H majuscule, l’humanité, les humains qui ne cessent de se battre que pour pleurer leur mort et reprendre encore les armes. N’y a-t-il pas eu assez de sang versé pour les dieux, pour les terres, pour la vengeance de uns envers les autres. Pourquoi ne sommes-nous pas tous égaux devant les dieux, sur le sol qui nous nourrit? Pourquoi, mon fils? Pourquoi? Je tremble de peur. Je tremble d’émotions. Mon corps n’en peut plus de souffrir. Et te voilà, mon fils, te voilà, grand et fort, et que me donnes-tu en cadeau ? »
« Père, il faut que nous défendions notre pays… »
« Retire cet uniforme, jette ton arme et prends mes mains. Te voir ainsi, les yeux pleins de haine me coupe le souffle, draine mes dernières forces. »
…
« Père? Père? Il ne respire plus, Andha… Ces salauds ont tué mon père comme ils ont tué ma terre et ma fierté. Tuons, Andha! Prenons les armes et vengeons la mort de nos frères!»
(Folie, folie que tout cela!)