La fièvre s’empare d’Ernoldo. Il est minuit. Il est trop tard. Ou trop tôt. Nella dort. Nella vit, c’est suffisant. Il la touche encore. Il croit encore toucher le marbre fin. La peau froid le couvre d’un frisson. La nuit, pourtant chaude et dense, lui apparait comme un courant d’air polaire. La banquise sur laquelle il glisse l’amène au cœur de la lave créatrice. Nella est là, c’est ce qui compte.
C’est la même fièvre qu’il y a une semaine. Un flash l’avait réveillé. Une lumière venu de l’intérieur, jaillissant de ses tripes, de son cœur. Il a failli vomir. Étourdi, il s’est roulé en boule, ramenant toutes les couvertures sous lui. Puis, n’en pouvant plus de demeurer couché, il se leva d’un bond et traversa la pièce pour rejoindre le studio voisin.
Là, un bloc d’environ deux mètres cube l’attendait. Il l’avait reçu la veille et s’était senti subjugué par un étrange sentiment. Cette pierre lui semblait vivante. Or, il ne pouvait lui toucher sans croire qu’il commettrait un crime bien plus grand que toutes les bêtises qu’il eut jamais commises.
Ernoldo avait pleuré, devant la majesté du bloc nu. Puis, le lendemain, ce soir de lumière crue qui avait déchiré ses entrailles, il empoigna ses ciseaux et marteaux et s’employa, pendant près de 48 heures, sans manger, sans dormir, à sculpter Nella.
À la fin, épuisé, il sombra dans un profond sommeil qui le transporta dans une noirceur profonde qu’il eut de la difficulté à se débarrasser.
À son réveil, la sculpture n’était plus là. Nella, sa Nella n’avait-elle donc été qu’un rêve? Une folie? Un fantasme? Ernoldo ne put se résoudre à accepter que cela soit ainsi. Toutes les poussières et grains de marbre qui jonchaient le sol ne pouvaient être le fruit de son imagination démente.
En larmes, il marcha doucement, traînant le pied, vers sa chambre. Il faisait presque nuit. Il ouvrit la porte et vit qu’il n’était pas seul. Du coup, il songea que peut-être dans son cauchemar éveillé, il avait transporté la sculpture terminée dans son lit. Mais la forme bougea. Il tomba à genoux, se signa et pria tous les saints qu’il connaissait : Nella était là, telle qu’il se l’avait imaginée pendant qu’il découpait la pierre. Nella, vivante, chaude, comme un Pinocchio femelle sorti de ses fantasmes.
Nella l’invita. Nella était.
Nella est encore, en ce milieu de nuit, chaude, humaine et il se rappelle ses derniers mots: “Fais-moi un enfant…”
Ernaldo se lève et marche vers le studio. Un bloc de marbre plus petit que le précédent, attend patiemment la main du maître.