Aucun écrivain ne peut se vanter d’être à sa table de travail vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à moins d’être un zombie, et encore. L’homme de lettres et de mots est un être humain (alors, on oublie le zombie dans cette équation) et il a le droit de dormir, de manger et boire un peu, et d’avoir des activités autres que celle du pur plaisir d’écrire. Mais, il arrive parfois – même souvent – que ces activités prennent le dessus et viennent faire dévier de sa course celui qui, malgré toutes ses bonnes intentions, a d’autres envies qui surgissent de temps à autre. Un bon livre, par exemple. On ne pourra le lui reprocher. C’est dans la même ligne de vie, la lecture. Et puis, il y a le ménage, ou à tout le moins, se ramasser un peu. Un courriel ou deux le retiendra devant l’écran pour y répondre. Une nouvelle dans les médias le fera naviguer sur des pages en rapport avec le sujet ou tout simplement du coq à l’âne. Les minutes s’écoulent puis se fondent en heures. Il se surprendra à se dire que voilà deux jours qu’il n’a pas écrit. Il se dit, je me reprendrai tantôt.
Il y a toujours mille et une raisons de ne pas écrire. Le problème avec ces prétendus détours, c’est que justement, le temps lui n’en fait pas. On peut comprendre la torture des écrivains amateurs (et certains professionnels) qui se donnent rendez-vous pour accomplir le défi collectif d’écrire un roman de cinquante mille mots en un mois, en novembre. Ceux-ci sont confrontés à cette ultime destination pour laquelle ils se sont portés volontaires et qui, à la fin de chaque journée, cumule plus ou moins 1670 mots en déficit (ou en gain, pour ceux et celles qui ont trouvé le courage de repousser la raison contre le mur de la pression).
Pourtant, il n’existe pas de meilleure satisfaction que d’avoir accompli ce pour quoi l’écrivain se lève chaque matin : se promener dans son univers inventé de toutes pièces, côtoyer des personnages qu’il a façonnés avec patience, se trouver dans le dilemme de choisir entre la porte de gauche ou celle de droite et faire bifurquer son histoire, pour le meilleur et pour le pire.
Comment éviter de trouver des raisons de ne pas écrire? En se fixant un rendez-vous, comme pour aller chez le dentiste (l’exemple est volontairement ici présenté pour faire grincer des dents). On y va parce qu’on sait qu’on n’a pas le choix. L’écrivain écrit. Il ne balaie pas le plancher ni ne se fait les sourcils. Il ne recoud pas un bouton perdu ni ne regarde si le voisin va oublier de sortir ses vidanges. L’auteur de mots n’a qu’une seule mission : celle d’écrire et sa récompense réside dans le nombre de ceux qu’il a alignés sur la page blanche.
Alors, il se trouvera mille et une bonnes raisons d’écrire.
