Que sont ces gouttes de pluie parmi les larmes de la fillette en ce jour gris de la fin de son enfance? Une ombre est venue ce matin prendre ce rayon de soleil, l’arracher à ses songes, le froisser puis le jeter au loin. L’innocence bafouée, les genoux repliés sur le cœur, elle a fermé ses yeux en songeant à cet hier tellement magique qui est soudain devenu une réalité aux murs craquelés, une course folle dans un tunnel au cœur rétréci, percé là-bas d’une lumière crue, artificielle, sans cette image en constante mouvance des lendemains d’éternité de son jeune âge.
Il s’appelle Cédric. Il a 14 ans. Le cheveu long, la main douce. Il fume. Il parle doucement et ses yeux sont des perles grises qui vous emportent là où vous voulez aller. Puis, aussi subtilement que les commissures légèrement soulevées de son sourire enjôleur, il se saisit de vous, se colle contre votre corps encore engourdi, et vous viole de ses doigts, de sa bouche, sans regrets, sans joie non plus. C’est un monstre. Mais personne ne le sait.
Zarah n’essaie plus de chasser les larmes qui se marient si bien avec l’ondée. Il n’y aura pas d’hiver, a-t-elle décidé, du haut de ses 11 ans. Elle serre déjà les poings. L’horizon est là, à ses pieds humides, s’écoulant vers le caniveau en filets d’humeurs et de sang. Ce sera son seul geste d’adulte. Après, peut-être que le ciel s’entrouvrira et lui redonnera la paix et l’éternité. Pour l’heure, Zarah retient son souffle. Cédric sortira de la classe bientôt, entouré de ses admirateurs. Cédric, le clown, le roi de la cour.
Soudain, une voix venue de ce lointain passé de la veille : « Zarah? Zarah? » fait la chanson interprétée par son père. « Zarah, ma chérie, mais où étais-tu? Qu’as-tu fais? Tu n’as pas été à l’école aujourd’hui. Tout le monde te cherchait! Seigneur, tu es détrempée…»
Des bras gigantesques l’enveloppent. Une porte s’ouvre. Une troupe grouillante de petits monstres autour de laquelle voltigent rires et quolibets. Cédric, le triomphant, débouche sur le trottoir.
Zarah ne cesse de le fixer malgré les bras qui l’entraînent vers la voiture. Papa parle mais les mots ne sont que des échos vagues sur une tôle froissée. Puis elle ouvre la bouche pour donner sa sentence :
« Papa, jure-moi que tu tueras Cédric! »
Papa ouvre la bouche pour parler mais la portière arrière s’ouvre brusquement :
« Salut Michel, salut Zarah! » dit Cédric en bouclant sa ceinture de sécurité.
Papa regarde sa fille unique et fait ‘oui’ de sa bouche silencieuse.