Sur la table, on déposa un café bien noir. Il était brûlant, comme d’habitude. Une petite toile fragile de buée dansait doucement au-dessus du bassin torréfié. L’odeur de celui-ci se mêla aux autres. Le petit sucrier et sa cuillère d’argent, le petit bol de crème fraîche et la serviette de tissu attendait le client. Dehors, il y avait des gens pressés, des bruits de klaxons et la grisaille du matin dominait toute la ville. Même le timide soleil de cette fin d’hiver ne pouvait chasser l’ennui et les problèmes du monde. Demain, peut-être, un coin de ciel bleu redonnera l’espoir aux plus optimistes. Pour l’heure, les sourires se faisaient rares et on s’oubliait pour mieux ignorer les autres. La routine, quoi.
Béatrice entra en regardant de tous les côtés et s’assit dans le coin habituel. Il n’était pas là. Elle enleva ses gants et détacha le premier bouton de son manteau. Elle sourit à la jeune fille qui lui apporta son café au lait et son biscotti.
Un ange passa, loin de tout ce monde, il va sans dire. La table du client resta vide encore un moment. D’autres clients entrèrent et voulurent s’asseoir à cette place mais on les invita à s’asseoir ailleurs avec une politesse malaisée.
Quinze minutes plus tard, l’homme entra et salua les employés. Son café était trop tiède. Il n’en but qu’une courte gorgée et grimaça. Il déplia son journal et parcourut les grands titres. On aurait dit que la vie reprenait ses droits. Béatrice se dit que cette fois elle allait lui parler mais resta plantée là jusqu’à ce qu’il jette deux dollars sur la table et s’enfuit en un coup de vent.
“Ce sera pour demain, alors,” se dit Béatrice en soupirant.