Petit matin de brume et de colère

La nuit s’était étirée mais pas la femme qui, au petit matin de brume, laissait couler les larmes de son désespoir sur ses joues brûlantes. Depuis plus de huit jours maintenant que le doute la rongeait, que l’incertitude des lendemains la hantait comme si on pouvait la tasser, l’expurger d’un quotidien alors qu’elle se cimentait par des pensées de plus en plus confuses.

À ses côtés dormait l’homme qu’elle avait épousé, aimé, souvent passionnément, souvent avec toute l’assurance d’une adolescente expurgée du mal et de l’obéissance absolue de ses parents. Elle l’avait aimé aussi avec facilité, sans se soucier des lendemains car il l’avait aimée, elle, avec toute la passion d’un amant figé dans l’éternité. Il l’avait tant aimée qu’il l’avait aussi blessée, l’ayant rendue jalouse, éperdue, lui donnant le bout de chaîne plus long que tout désintéressement. Elle y alla, loin, encore plus loin, fouillant même les coins obscurs de son passé pour, croyait-elle, mieux revenir au creux de ses bras et se laisser porter, en dehors des atours et des fausses postures de l’environnement. Pour eux tous, elle était une poupée sans cervelle, une potiche décorative qui se savait telle et qui n’avait d’amour que cet homme auquel elle s’était littéralement soudée. Pour lui, comme pour elle, enfin le croyait-elle, elle était une mer profonde, encore inexplorée, pleine de cette force de la nature qu’on avait si malencontreusement étouffée et qui parvenait désormais, à petite dose certes, à exploser d’intelligence et de signifiance.

Puis, elle-même ne sachant trop pourquoi, des yeux un regard, d’un geste un frisson, naquit le doute. Les cartes embrouillées ne traçaient plus ce chemin pourtant si clair au moment des vœux, une danse, une larme. De ce jour où le doute était un frein à son envol et qui céda enfin à un bonheur magnanime, de cette nuit où ce fut mille mains qui la guidèrent, il ne restait que des souvenirs si frais si francs et qui ne signifiaient plus rien. La route obscure d’une colère ou d’une menace, bouillon de passion éphémère qui lui faisait peur, l’amenait à frôler le bas-côté de cette autoroute peut-être trop étroite.

Elle avait rencontré un autre homme. Même passion, même folie, même vertige, peut-être même plus grand, plus fou. Elle avait exploré peut-être trop à fond cet être fragile qui s’était abandonné à un être passionné et qui ne savait plus si elle préférait les tendres bras de cet amour ou si elle le troquerait pour une autre passion, dut-elle flétrir au bout de quelques semaines. Certes le quotidien avait vite prit le dessus, les arias du temps faisant leur oeuvre et les hasards calculés du destin effritant peut-être un peu trop vite les espoirs et les plans d’une passion simple.

Elle tenait, en ce matin de brume qui tardait à redevenir jour, contre son cœur, un marteau-pilon, une masse lourde qui enfonçait des échardes dans ses mains tremblantes. Quand il se réveillera, il saura, elle en était certain. Il demandera des comptes, la jugera peut-être.

Il soupira. Il se tourna. Il posa sa main sur son ventre serré. Un sanglot lui échappa et il ne le perçut peut-être pas, ou il l’ignora. Elle le sentit se rapprocher, soupirer. “Il sait, mon Dieu, il sait” ne cessa-t-elle de se dire, comme si elle pouvait éviter de tout lui révéler.

Elle ferma les yeux et tenta une prière mais aucun des dieux ou des déesses qu’elle connaissait ne put lui venir en aide. La chambre lui parut si vaste et froide qu’elle aurait pu s’y perdre à tout jamais.

Il ouvrit la bouche et posa la question. Les larmes ne furent d’aucun secours. La pluie s’installa. Le petit matin de brume devint un petit matin de colère. Quelqu’un en quelque part écrivit le mot fin au terme de cette triste histoire et les mots s’envolèrent au vent d’automne, chassés définitivement du présent.

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