Le monde est impatient. On est cent soixante mille personnes à faire la queue dans un des quarante mille magasins de jouets, de cossins, d’articles de cuisine, de sport, de vêtements, de livres, de disques ou de films sur DVD. On est tout ce beau monde anxieux prêt à défoncer son budget pour plaire à fiston, fistonne, ma tante, mon oncle et chéri-bibi-mon-ti-coeur d’amour-à-moi-tout-seul dans l’espoir d’obtenir d’eux la scie sauteuse, le dernier U2, la paire de gants en retroreflexfibromachin, le vin nouveau ou la bague-geu-geu qui changera tout, merci-ô-merci-ô-mon-amour!
Moi, je suis là, en file et j’attends. J’attends mon tour à moi aussi. J’essaie de sourire mais c’est long, c’est sacrément long et j’ai faim. Ça me gratte, ça me pique. Mon voisin de devant pue de la gueule et celui de derrière sent le dessous-de-bras passé date.
J’ajuste ma tuque de laine, je renifle. J’esquisse un sourire à la fille qui vient de passer à côté de moi. J’entends les murmures: C’est la fille de la météo! Moi, je m’en fous, de cette fille. Elle est belle mais elle n’ose même pas me regarder; alors sa météo, elle peut se la repasser en continu, ça ne me réchauffera pas. La beauté, c’est une plaie ici. Elle est une agression sauvage. Tout comme le parfum et les portes-monnaies.
C’est la guignolée. J’en suis. On me guignole. Je vais me régaler, pour une fois dans l’année. Après, je retournerai quêter et ma vie, elle, va continuer d’être ce qu’elle est.
La ligne avance. J’ai moins faim, tout d’un coup. Moins faim que soif. Je boirais un litre d’eau fraîche pour me rassasier. Après, je serrerais bien mes petits-enfants dans mes bras en leur disant que papi il leur a apporté du bonheur plein ses poches et qu’il faut faire bien attention au bonheur parce qu’il est fragile et précieux comme la vie. Et puis aimer. Mauditement aimer.