Tout romancier qui prend un stylo et une feuille blanche (ou qui s’installe devant un clavier et une page blanche virtuelle de son traitement de texte) s’aventure sur un terrain glissant. Les écrivains qui font un plan avant de démarrer un roman ne sont pas exclus de ce lot d’aventuriers qui voguent alors sur les eaux tumultueuses de leur imagination. Il arrive souvent qu’une histoire prenne un tournant inattendu où un personnage dit une phrase qui changera le cours des choses ou commettre un geste dramatique qui mènera l’écrivain et son monde inventé dans des coins imprévus.
À bien y penser, c’est un peu comme ça dans la vraie vie. Il ne se passe pas une seconde où nous faisons un choix qui peut impacter notre parcours. Il n’est donc pas surprenant que l’écrivain doive faire avec ce qui se déroule sous ses yeux (et dans sa tête).
Vous vous demanderez « Mais pourquoi ne l’efface-t-il pas? ». En effet, un peintre peut donner un coup de pinceau de trop ou choisir une autre couleur que celle qu’il avait vue dans sa tête, même chose pour un musicien qui répète une chanson sur sa guitare et dont le doigt glisse pour jouer un accord différent. Disons simplement que le créateur n’est pas infaillible et que bien souvent une erreur, un oubli ou un élan peut mener à quelque chose de mieux. On appelle ça la créativité. Sortir du cadre puis foncer. Pourquoi pas? Qui va s’étonner de voir un trait de vert pomme sur un rouge vermillon? Qui se bouchera les oreilles en entendant un mi au lieu d’un do?
Pour revenir à l’écrivain, imaginez-le sur le bord d’une haute falaise, les pieds attachés à un élastique de « bungee ». Lorsqu’il commence à écrire, il amorce sa chute vertigineuse vers la fin de son histoire. Il ne pourra rebondir (lire : réviser) qu’après que tout aura été dit, quels qu’en soient la teneur, les tenants et les aboutissants. Celui qui se laisse tomber dans ce « vide à remplir » de sa créativité n’a que faire des hésitations et des peurs. Il doit aller jusqu’au bout et attendre que l’élastique de la fin le ramène en arrière pour revoir l’angle de sa chute qui est en fait une montée au septième ciel des arts.
