Armand Lefebvre marche lentement vers la table. Georgette Beaudoin est assis, seule, mais toujours aussi souriante.
“Ahum, vous permettez, madame… vous ne seriez pas la très célèbre Georgette Beaudoin?” demande-t-il la voix chevrotante.
“Célèbre, moi? Je ne crois pas que…”
Armand hoche la tête de haut en bas, les yeux fermés. Il lui fait un énorme sourire.
“Oh que si, Madame Georgette, que si. Vous êtes la vedette de mon cinéma intérieur, sur grand écran, en stéréo et en odorama.”
Georgette, on s’en doute, rougit comme une pomme en septembre. “Ah, vous, là! Arrêtez donc de m’étriver. Assisez-vous ici et mangez avec moi.”
Armand se réjouit de l’invitation car Georgette n’a pas la réputation d’accepter n’importe qui dans son cercle d’amis. Il la salue humblement et pose ses fesses sur la chaise devant elle.
“Et si vous me demandez si je veux vous épouser, je vous plante ma fourchette dans la main…” dit-elle à mi-voix en souriant.
*
À la clinique, au sixième étage, le médecin regarde la blessure d’Armand. Elle ne saigne plus mais la douleur est encore prenante.
“Vous ne voulez vraiment pas me dire ce qui s’est passé, monsieur Lefebvre?”
Armand secoue la tête: “Vous savez, jeune homme, à mon âge, on aime ça quand il y a un peu de piquant dans notre quotidien. N’est-ce pas ma chérie?”
Georgette acquiesce mais personne ne voit le sourire tremblant qu’elle esquisse sur ses lèvres.
“Vous savez que Georgette allons nous marier, docteur Chouinard? C’est une fine fourchette, cette petit dame. J’espère seulement qu’elle ne mord pas.”
Le docteur éclata de rire en posant le pansement sur la plaie.