Le tumulte des avions s’estompa. La rage restait palpable parmi les survivants. L’épaisseur de la poussière empêchait les hommes de voir où ils marchaient. Ceux-ci trébuchaient sur des blocs de ciment, des poutres tordues, des meubles éventrés.
Farrouj, seize ans, les yeux brûlant de larmes, obéissait aux ordres de ses pairs. Il tremblait de tout son corps depuis que l’armée ennemie avait jeté les dernières bombes. Cet enfer lui donnait envie de vomir. Il n’aimait pas les Israéliens avant cette folie. Maintenant, il les haïssait. Il haïssait aussi les autres pays qui ne faisaient rien pour les aider. Tous, incluant les cousins arabes qui ceinturaient le petit bout de terre qu’on appelait Liban.
Une gerbe de feu alimenté par du bois sec fendu en mille morceaux n’ajoutait rien au triste spectacle. Partout, les gens pleuraient et criaient. Bientôt, des caméras de télévision transmettraient les images d’horreur au monde entier. Et tous secoueront leur tête en se désolant de ce drame. Un autre drame humain, comme un autre microbe.
Farrouj souleva un panneau de bois en essayant de garder ses yeux ouverts et son esprit concentré sur la tâche à accomplir. Il vit le cadavre d’un chien, la fourrure ensanglantée. Puis, retenant lui-même le cri qui lui montait à la gorge, de même que la bile acide, il distingua une petite main dont l’auriculaire bougeait encore.
“Venez, venez vite. Un survivant. Un enfant…” lança-t-il en arabe à la ronde, parmi les cris des autres.
Quelques hommes arrivèrent qui avec pelle qui avec bâton de fortune, pour dégager les débris. On s’affaira avec rapidité mais aussi avec soin à libérer l’enfant à la peau étrangement blanche. Ils virent enfin le visage de l’enfant qui les regardait avec un sourire plein de remerciements. Il parlait mais on ne comprenait pas les mots qu’il prononçait. Ce n’était pas de l’arabe, ni du français ou de l’anglais.
Farrouj, qui avait commencé ses études en lettres et qui avait appris des rudiments d’une bonne douzaines de langues, s’approcha de l’enfant qu’on n’osait pas encore déplacer. Il posa son oreille tout près du souffle de celui-ci et entendit en araméen:
“Paix, mon fils, ne hait pas ton prochain, ton frère et ta sœur.”
Farrouj vit dans les yeux de l’enfant une lumière qui l’emplit d’une douce chaleur du printemps. Il n’entendit pas les questions des autres et lorsqu’ils le virent s’agenouiller devant l’enfant et lui baiser les mains, ils comprirent qu’ils devraient faire de même.
Note: Pour les frères et les soeurs, neveux et nièces de ma compagne de vie qui vivent les affres de la guerre au Liban en ce moment.
Propos qui vont avec une certaine photo du journal LE DEVOIR de ce matin où un enfant au regard horrifié porte sur ses épaules un bambin qui fixe la caméra d’un air scrutateur. Ils fuient vers la frontière turque.
Merci, Patrice, pour ce billet.