Archives par mot-clé : Suicide

La machine à Timmy

Timmy aimait les ordinateurs. Il en possédait six. Son père lui avait légué son vieil Atari 800, un des tout premiers Commodore 64, un authentique IBM PC avec le collant original du fabricant bien en vue, une espèce de clone compatible muni d’un micro-processeur 386 et un rare exemplaire du MacIntosh encore fonctionnel.

Il avait devant lui son sixième appareil, précieux comme tout, acheté sur eBay à un prix exorbitant. Il tardait à l’ouvrir, nerveux comme un enfant de huit ans devant son premier téléphone intelligent. Ses mains moites tremblaient d’impatience. La boîte était lourde. Les frais d’expédition, bien que faramineux, en valaient la peine. Pensez-y. Un Newton 3000, fabriqué par le très célèbre Antòn Krc!

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L’horloger

Viateur Boulerice regarda sa montre. Les aiguilles avaient à peine bougé. Seule la trotteuse s’obstinait à courir, défiant l’étonnante langueur du temps. Il leva les yeux et vit l’horloge sur le mur. Il compara les deux et constata que le temps ne changeait pas malgré les couleurs criantes de l’horloge ou la sobriété du beige argenté cerclé d’or de sa montre.

Ses yeux parcoururent la pièce à la recherche de quelque autre témoin qui passerait. L’écran vide du téléviseur reflétait l’étrange luminosité du dehors et les formes rectangulaires qui l’encerclaient, la table du salon, la chaise droite, le cadre, la toile, l’aquarium. Seule la plante jurait, cruelle, avec ses verts et ses jaunes.

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Rien à faire

Karl s’est étendu sur la chaussée brûlante en pensant à son passé. Rien à faire. Tout était effacé. Peut-être était-ce la peur. Ou le bruit. Le bruit des voitures qui frôlaient son corps dans une chorale de klaxons discordants. Des crissements de pneus. La toile froissée. Comme il avait envie de rire. Mais il y avait longtemps que son cerveau n’envoyait plus ce genre de signal à ses lèvres. Sa bouche déformée par les goulots de bouteilles ou par la douleur de ses peurs ne savait même plus bouder ou même rester neutre. C’était tout son visage qui transcendait la douleur.

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Le centre de rien

J’y suis. Je suis au centre. Au milieu de tout. J’ai conduit ma camionnette directement sur le mur de ciment. Et bang! Me voilà là, en plein coeur de l’univers, entouré de la lumière blanche et la douceur de mon âme libérée du poids d’un corps.

J’y suis et je veux y rester.

Puis, tranquillement, je réalise que je suis au centre de rien. Rien du tout. Au milieu d’un vide incommensurable qui me targue, m’agace. Je veux m’agripper à quelque chose mais il n’y a que de l’air, ou plutôt, une espèce de creux sans densité. Je n’ai même plus de doigts pour le tâter et mon âme n’a de prise nulle part.

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Le pendule

Ça n’a pas d’allure.

Jimi est là, qui se balance à gauche et à droite, depuis une heure, tout fier qu’il était de provoquer, de choquer, de faire bouger les choses et la seule chose qui bouge, dans un interminable va-et-vient, c’est son corps inerte, avec son visage horriblement déformé par la corde qui lui tord le cou. Jimi s’en fout, bien-sûr. Il n’a plus cette préoccupation puisqu’il n’est plus Jimi. Il est devenu un souvenir, une grimace pour ceux qui le verront tantôt, accroché à sa mort par un fil rugueux. Il ne s’en fait plus comme tantôt, alors que dans sa tête se chamaillaient les cris de sa femme, les pleurs de ses enfants; alors que dans ses narines pateaugaient les odeurs de caoutchouc brûlé sur l’asphalte , l’odeur de sa propre peur quand le silence est revenu, l’odeur de son urine quand il a poussé la chaise; alors que dans ses yeux dansaient le geste provoquant, celui d’un je-m’en-fous blessant, du regard de haine de son aîné, du tremblement la cadette, d’un soubresaut du serin gris; et, alors que dans sa bouche montait la bile, la haine et la peur qu’il n’arrivait plus à avaler, comme il faisait depuis trente ans.

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