Voilà trois heures qu’il regarde la fenêtre aux carreaux oblongs enveloppés d’une dentelle bon marché. Il fixe ce vide où, de temps en temps, passe une ombre colorée, un passant emmitouflé dans ses lainages qui promène le chien, une gardienne d’enfant nerveuse qui essaye de rattraper le temps au pas de course, un couple amoureux qui s’arrête à tous les cinq mètres pour échanger des coups de langue et des sourires bêtas, un individu étrange tout de noir vêtu au pas ralenti par de noirs desseins.

Les âmes passent et repassent, l’ignorent.

À deux ou trois reprises, toujours habité par ce même silence, il essuie furtivement quelques larmes d’espoir déçu qui serpentent le long de son visage défait par l’attente.

Depuis quelques secondes, il sait, il l’a toujours su, qu’elle ne viendra pas. Et pourtant, il fixe les carreaux noirs et y voit des espoirs se transformer en désespoir, vite évanouis dans la nuit. Il y a d’autres fenêtres dans ce café suspendu dans le temps par un fil ténu. Mais il sait que son ombre à elle ne passera pas par aucune d’entre elles et surtout pas par celle qu’il fixe.

Il voudrait pouvoir la briser par la force de son regard, la voir voler en éclats, miroitant dans la nuit, le rendant aveugle à tout jamais. Il souhaite voir également son regard à elle, rempli de cette même tristesse, désolée de lui avoir donné tant d’espoir et lui cracher au visage comme s’il n’était qu’un vulgaire voyeur qu’il n’est pas, lui qui est en quête de cette femme, de son amour et qui n’obtient que le gris terne des carreaux maculés de la poussière du temps.

Il a beau se répéter que la nuit fera son oeuvre de bienfaisance en lui offrant enfin ce bouquet de désirs contenus mais les mots dans sa tête s’étiolent au fur et à mesure que les minutes s’écoulent.

Il reviendra demain. Demain, elle viendra. Oui, demain.