Une vague fin du monde

Simon se baignait tout doucement dans la mer avec devant lui l’imposant rocher de Percé. La pierre orangée se détachait du ciel bleu d’une pureté inégalée. Il croyait voir une toile d’un peintre impressionniste. Il frissonna en songeant à ce qu’aurait peint Claude Monet sur les lieux de ce monument naturel de son pays.

Les vagues le berçaient doucement. Son corps lui paraissait si léger et sa peau, adoucie par le sel, semblait avoir rajeunit de 20 ans. Il voyait les touristes qui essayaient de passer sur les rochers pour éviter l’eau qui montait en cette belle après-midi de juillet 2017. Il vit son fils, Mathieu, un petit point rouge au bout du quai, qui se chamaillait probablement avec sa sœur. Simon se dit qu’il n’y avait pas de plus beau moment que cette baignade quotidienne près de son point de vue favori au monde.

Ici, à Percé, tous les problèmes de la Terre lui apparaissaient comme futiles. Les touristes affluaient, les affaires continuaient de prospérer et on ne sentait pas vraiment les effets de la pollution ou la dégradation de l’environnement. Les oiseaux nichaient toujours sur l’Île Bonaventure. Le poisson, bien que plus rare, était une mine de nourriture pour les résidents de la pointe depuis l’interdiction formelle de pêcher à des fins commerciales. Sa femme et ses enfants étaient heureux de vivre dans la nature encore sauvage de la péninsule gaspésienne sans les tracas de la grande ville ou même les stupidités politiques qui déchiraient les meilleurs des hommes et des femmes du pays. La paix dans un cadre paradisiaque.

« Il est vrai que l’eau pourrait être plus chaude » se dit-il en nageant un peu pour se réchauffer. Mais, il s’était habitué à la température plus que fraîche de ce coin de mer. Et puis, qui était-il pour se plaindre du réchauffement de la planète. Depuis dix ans, la température moyenne de la mer, sur la côte Est, avait augmenté de 20%, un gain apprécié des baigneurs qui préféraient désormais faire du tourisme dans leur province plutôt qu’au Sud où la cupidité et l’aveuglement de leurs voisins américains avaient pratiquement éradiqué les trésors de plages et d’hôtellerie à cause de la pollution et la dégradation de l’environnement.

Simon ressentit une certaine ivresse en se sentant traîné subitement vers le large. Il se vit au creux d’une vaste vague presque noire au cœur de laquelle le sable rouge tourbillonnait. Après avoir fermé les yeux un moment, il les ouvrit en constatant l’étrange silence qui suivit. Il vit aussi les gens qui suivaient le retrait de l’eau tout autour du rocher. Une vaste superficie d’un kilomètre carré s’ouvrit devant eux. Certains applaudirent. D’autres se turent et quelques-uns décidèrent de rebrousser chemin précipitamment. Simon eut la vague impression de déjà vu quand il se retourna vers le large et vit une vague de 6 mètres étendre sa large paume meurtrière à moins d’un kilomètre de là.

En moins d’une minute, toute l’eau qui s’était retiré du pourtour rocheux fut quintuplée et une gigantesque masse d’eau fut précipitée contre la pierre friable. Un grondement d’outre-tombe arracha de ses racines profondes l’immense rocher qui sombra avec les hurlements de terreurs rapidement étouffés par la mort. Simon fut poussé au-delà de la plage, des maisons déchirées sous ce ciel radieux. Il ne chercha même pas à nager, voyant la montagne venir à lui dans un tourbillon de déchets, de corps inertes, de sable et d’eau salée. Le Mont Ste-Anne qui, d’habitude dominait la région, fut entouré d’eau. La vieille église glissa sur cette nouvelle plage improvisée puis s’écroula comme un château de sable abandonné à son triste destin. Simon vit un érable à moins d’un mètre de lui quand il sentit l’eau commencer à se retirer. Il fit quelques brasses pour atteindre le tronc et s’y agrippa alors que la masse liquide se retirait presque aussi rapidement qu’elle était venue. Pleurant maintenant à chaudes larmes, Simon vit le paysage désolé de son pays aux blessures ouvertes qui allait bientôt subir une autre vague, semant encore la mort là où peut-être, quelques chanceux avaient pu survivre.

Il vit au loin se reformer la lame tranchante de la nature, gonflée de cette force criminelle, qui se préparait à frapper de nouveau. Il lâcha prise et descendit doucement de l’arbre. Le sol mouillé était glissant. Il enjamba le branches cassées et les planches brisées pour monter un peu plus haut sur le flanc de la montagne. Il l’escalada ainsi pendant une dizaine de minutes, regardant toujours derrière lui, n’en croyant ni ses yeux ni ses oreilles. Une vague fin du monde qui le désolait. Il pleurait sans cesse, tremblant de tout son corps. Il souhaitait se réveiller maintenant, s’extirper de ce cauchemar mais la douleur de tout son corps et de tout son âme lui rappelait que c’était là la bien triste réalité de ce monde, celui de ses ancêtres, celui de la nature et de son inéluctable destin.

NdA: J’ai entendu ce matin, à la radio, une nouvelle troublante, à propos de l’environnement, de la vitesse avec laquelle notre belle Terre se désagrégeait. Garderons-nous encore longtemps les yeux fermés?

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